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Les agents secrets du web américain

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Emily Rueb travaille pour le blog local du New York Times, City Room. Elle est l’une des deux web producers de la rubrique locale du journal. Au total, environ 65 employés de la rédaction sont web producers, sur 1.100 personnes — et non plus 1200 depuis le plan social d’octobre dernier — que comprennent tous les “newsroom jobs” (sans compter les postes administratifs, financiers, commerciaux, etc).

Il y a différents types de «web producers» au New York Times. Au premier échelon, les web producers de nuit. Ils arrivent au journal vers 18h, en repartent vers 2h du matin, récupèrent tous les articles de l’édition du lendemain et les mettent en ligne, après les avoir indexés, taggués, et illustrés. Un job très important, mais sans aucune dimension créative, et sans grand besoin de compétences éditoriales.

Les web producers de jour ont plus de chance: rubrique sport? Vous pourriez partir couvrir les Jeux Olympiques et le Superbowl pour bloguer, réaliser des interviews, des portfolios sonores depuis le terrain, etc.

Rubrique business? Moins facile, puisque «la rubrique business demande un flux constant d’articles et donc du boulot de production pure qui peut prendre toute la journée», explique Emily Rueb. Mais au moins vous serez en constante collaboration avec les reporters de la rubrique business et tous les autres desks (photo, correcteurs, rédacteurs chargés de la page d’accueil…).

Je produis, tu produis, il produit

Emily Rueb a de la chance, elle se dédie entièrement à City Room, le blog du New York Times qui représente une majeure partie de la couverture locale du journal. «Je vais aux conférences de rédaction, j’aide à décider de ce qui est important», explique-t-elle. «Pendant les élections, je proposais des idées de vidéos, etc».

Emily ne se contente pas de mettre en forme des billets d’autres reporters pour le blog et de gérer la rubrique «Taking questions». «Parfois je sors en reportage, j’écris, je fais du design ou je travaille sur des grosses infographies». «Un web producer complètement intégré, c’est quelqu’un qui aide à piloter la couverture de l’actualité et qui propose ses propres sujets», même si c’est plus facile à faire quand on travaille à la rubrique «Local» qu’à la rubrique «Etats-Unis» ou «Voyage».

«Un bon web producer n’a pas besoin d’être manager», dit-elle. Personne n’arrive au New York Times en comprenant son système de publication, très complexe, assure-t-elle. Mais on peut y apporter d’autres compétences: techniques, comme le montage audio, ou humaines, comme la diplomatie… Il s’agit en plus d’être à peu près bon partout, «parce que c’est à vous que les gens viennent poser les questions» en rapport avec le web et le multimédia.

«Et il faut être complètement impliqué dans son média. On assiste à des réunions avec des éditeurs qui lisent tous les blogs et les articles. Alors il faut que nous aussi, on sache ce que font les autres blogs pour devancer la concurrence quand on propose des graphiques, des sons, ou des posts pour City Room.» Sans oublier la nécessité de reconnaître ce qui constitue un bon contenu multimédia, et d’être rapide. «Si vous êtes rapide et que vous apprenez vite, vous passez moins de temps à produire et plus de temps à proposer des sujets».

Former un staff de presse écrite à la culture web

Quand elle n’est pas occupée à mettre en ligne des articles, proposer des sujets et surveiller l’actu, Emily Rueb se transforme en formatrice. «Etre web producer, c’est jouer au traducteur», dit-elle. «La plupart des chefs de rubriques pour le web viennent de la presse écrite. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, tant qu’ils veulent apprendre et qu’ils aiment le web, et qu’ils sont prêts à motiver leurs reporters pour qu’ils s’habituent à redimensionner leurs photos eux-mêmes, par exemple. Sinon, on se transforme en goulot par lequel tout doit passer, et ça ralentit tout.»

Pour elle et les autres web producers, la formation est une question de survie.

Ils ont ainsi appris aux chefs du desk photo à choisir et mettre en ligne eux-mêmes les photos qu’ils veulent pour chaque article. «Si je redimensionne une photo, et que plus tard à une réunion l’un d’entre eux dit “hey, on aurait dû utiliser celle-là à la place”, ça ralentit tout», explique-t-elle. Tout pour éviter ça. Au passage, elle en profite pour leur faire découvrir les avantages du web comme l’espace illimité disponible pour des diaporamas.

Former les chefs photo qui sont au bureau, c’est une chose. Mais les reporters, eux, sont constamment sur le terrain. «Il s’agit de leur faire écrire leurs articles dans WordPress, le logiciel utilisé pour les blogs du NYTimes, directement. Ça peut paraître simple, mais ils oublient leur nom d’utilisateur et leur mot de passe, des choses comme ça, ou ils ne savent pas ajouter des liens hypertextes».

Le blog sert de porte d’entrée au web pour la plupart des reporters du quotidien Suzan Dominus, par exemple, écrit chaque semaine sur sa vie new-yorkaise. Pour le Nouvel An, elle a écrit un article où elle parlait de la difficulté de sortir des cartons la porcelaine de sa grand-mère décédée, difficulté d’autant plus grande qu’elle a cassé à l’occasion l’une des précieuses soucoupes. Une lectrice a écrit pour dire qu’elle faisait de l’art à partir de porcelaine brisée, et Emily Rueb a aidé Dominus a écrire une suite à son article, en forme de billet de blog pour City Room.

A côté de ça, certains reporters papier sont très impliqués dans le multimédia. Corey Kilgannon a commencé comme journaliste pour la rubrique Metro, avant de s’intéresser à la vidéo (voir sa série de vidéos sur des New Yorkais excentriques, ou un voyage en kayak retraçant les pas d’Henry Hudson, l’explorateur qui a donné son nom à la rivière qui traverse New York). «Maintenant il a une caméra et cent heures d’entraînement derrière lui. C’est un exemple pour les autres reporters», assure Emily Rueb. «Au début, ses vidéos n’étaient vraiment pas terribles, on les enterrait plus ou moins. Et maintenant elles sont super!»

Tous web journalistes?

Etre web producer, est-ce la même chose que journaliste web? Pas que. «C’est 50% d’organisation, et 50% de journalisme». Emily Rueb aime son boulot, malgré ses défauts: «on est responsable de beaucoup de détails que les gens ne voient pas. Dans le journalisme on a l’habitude d’avoir sa signature quand on fait quelque chose, et les évaluations pros peuvent dépendre en partie du nombre d’articles que l’on a signés, etc. Mais beaucoup des tâches du web producer se font en coulisses».

Elle pense que les web producers deviendront des reporters web. «Au fur et à mesure que les outils de publication du New York Times deviennent plus efficaces, on va voir les web producers se transformer en reporters web parce qu’ils auront plus de temps pour aller sur le terrain, ou pour réfléchir à des projets comme One in 8 Million».

En attendant, depuis une grosse augmentation début 2009, les web producers gagnent autant que les reporters juniors, assure Emily Rueb, alors qu’il n’y a pas si longtemps, quand le staff web et le staff papier travaillaient dans deux immeubles différents, «les web producers n’étaient pas invités aux conférences de rédaction!»

Sree Sreenivasan, mon prof de réseaux sociaux qui est aussi le Dean of Students de Columbia, a eu le temps en 17 ans à l’Ecole de voir de nombreux étudiants chercher du travail. Il a commencé à entendre le terme «web producer» vers 1998-99. «Le terme vient du vocabulaire du journalisme télé américain, où l’on trouve des “TV reporters” et des “TV producers”, les gens en charge de la technique», explique-t-il. Derrière ce terme réside «l’idée qu’il existe deux types de journalisme: l’écriture, et la production. Et on essaye d’apprendre les deux à nos élèves.»

Il note qu’il est impossible de parvenir à une définition unique du métier de web producer, puisque celle-ci varie grandement en fonction des médias. A DNAinfo, le site hyperlocal qui couvre Manhattan et auquel il participe, «on a des reporters/producers», une évolution du métier qu’il voit bien se répandre.

«Il faut que tout ça se mélange, parce qu’un web producer va être satisfait s’il produit un contenu original de qualité, ou s’il est “curator” et dirige les lecteurs vers des contenus de qualité. Et puis où est le besoin d’avoir une personne qui se charge d’insérer des liens dans des papiers, une autre pour les mettre en ligne, etc?»

«En plus, en séparant les web producers des reporters, on transforme ces reporters en fétiches. On les traite comme des idiots et on en fait des gens intouchables, qui ne se mêlent pas du web.»

Dis moi où tu travailles, je te dirai quel web producer tu es

Tous les collègues d’Emily Rueb ne sont pas aussi ravis qu’elle. Rien qu’au New York times, il y a une grande différence dans les responsabilités éditoriales et la créativité des web producers en fonction de la rubrique et du créneau où ils travaillent.

Il y a un an, j’ai fait un stage à Politico, le journal et site américain dédié à la politique lancé lors de la dernière campagne présidentielle. En allant jeter un coup d’oeil sur la page «staff» du site, je me suis rendue compte récemment que seule une des web producers de l’époque (sur une demie-douzaine) y travaillait toujours.

«Je venais de finir un stage d’un an au bureau de Washington du New York Times», se rappelle (dans un email) Ariel Alexovich, ancienne web producer pour Politico. «A cette époque (en juin 2008), Politico c’était “the place to be”. J’ai pris ce boulot en pensant que ça serait une manière de mettre un pied dans la maison, que je pourrais monter en grade, mais en fait ça s’est révélé être une impasse.»

Après les premiers mois dans une newsroom en pleine ébullition électorale, l’excitation est retombée. «Dans l’ensemble, être web producer ça veut dire être enchaîné à ton bureau pendant tout ton créneau horaire, ce qui ne me plaisait vraiment pas. J’ai trouvé le fait de publier des articles, des liens, et des galeries photo ennuyeux, long et extrêmement répétitif.»

«Et puis mon principal problème c’était que, en tant que web producer, tu passes ton temps à faire en sorte que l’article de quelqu’un d’autre soit bien présenté. Ça m’a toujours dérangé, parce que je savais que je pouvais être aussi bonne reporter que beaucoup d’entre eux. J’ai des diplômes de journalisme, et des années d’expérience dans plusieurs publications dont le New York Times. Je suis juste entrée à Politico au mauvais poste.»

Ariel Alexovich et les autres web producers pouvaient proposer des idées d’articles, à condition que ça n’interfère pas avec leur travail de producer. «Mais ça interférait toujours. C’est dur de se mettre à écrire quand tu es interrompue toutes les dix minutes par un chef de rubrique ou un reporter pour changer quelque chose dans leur article.»

Après avoir été promue au rang de «senior web producer» («ça a presque empiré les choses puisque du coup je devais faire encore plus de web production, et donc j’avais moins de temps pour les autres choses que je voulais faire à Politico»), Ariel a fini par en avoir assez.

«J’ai vu que ça ne me menait nulle part. Je me suis rendue compte que, comme tous les autres web producers de Politico, j’étais surqualifiée pour ce job.» Elle s’est mise à chercher un autre boulot et a rapidement été contactée par le groupe du Chicago Tribune pour devenir «assistant editor» de The Mash, l’hebdomadaire du groupe dédié aux lycéens.

Et en France, connaissez-vous ce système? Où existe-t-il? Est-ce la même chose que les postes de SR web?

Cécile Dehesdin

Des questions, des envies, des idées? Dites-moi tout dans les commentaires, sur Twitter (@sayseal), sur la page Facebook du medialab, ou envoyez-moi un mail à cecile.dehesdin (@) slate.fr

(Photo: Undead geek par ngernelle via Flickr)


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